L'ombre et son oiseau

by François Aubart

Dès la porte d’Art3 franchie, on est accueilli par une plaque de plomb accrochée au plafond. Sa partie inférieure, à 70 centimètres du sol, est découpée pour figurer une main. Pliée horizontalement, de façon à tenir une pomme d’amour, ses doigts se referment sur la confiserie. Ce fruit restera là pendant toute la durée de l’exposition, sans subir les affres du temps. Cristallisé dans un enrobage de sucre, il est également protégé du plomb dont est fait la sculpture sur laquelle il est posé. Cette main toxique présente un autre danger, ses doigts semblent pouvoir broyer le fruit, en le serrant davantage. Cette offrande d’une pomme rouge vif rappelle évidemment le geste malveillant d’une célèbre sorcière, mais elle évoque aussi simultanément l’excitation et les dangers du contact. Celui du sucre avec la pomme qui rend celle-ci désirable et la protège, celui du fruit avec une main qui le présente, l’abrite et le protège mais qui pourrait l’intoxiquer ou l’écraser.

L’ombre et son oiseau, titre de cette exposition de Luke James, est aussi celui d’une de ses photographies. Elle représente une ombre au sol. Ce qui la produit est hors-champ, absent de l’image. La forme de cette ombre évoque celle d’un oiseau en vol. Bien que tous les objet et tous les êtres produisent une ombre, les formes de ces traces peuvent faire penser à autre chose que leurs causes factuelles.
Pour réaliser Le chat et la souris, Luke James a moulé en céramique deux paires de pieds humains. Ces empreintes sont installées dans les trois marches qui mènent du vestibule à l’espace d’exposition d’Art3. Certaines, placées sur les parties horizontales des marches, évoquent les traces laissées par une personne qui les aurait descendues. Les autres suggèrent une ascension et sont fixées sur les parties verticales des marches. Cet agencement met en scène les empreintes de deux personnes se déplaçant dans des directions opposées. Là encore des traces activent l’imagination, celles de déplacements extraordinaires, mais également celles d’une rencontre entre deux protagonistes.

Luke James a recouvert les plaques de céramique blanche du sol d’Art3 par des tomettes hexagonales, prélevées dans le cadre d’une maison familiale. À un espace, et à son allure reconnaissable, est superposé un autre, dont l’histoire est connue de l’artiste qui sait surement pourquoi certaines des tomettes sont brûlées. Pour nous, elles ne portent que des traces dont les causes restent mystérieuses, illisibles.
Dans l’espace entre deux tomettes, Luke James a inséré deux cartes, une dame de pique et un valet de cœur, la face de chacune tournée vers l’extérieur. Serrées l’une contre l’autre, elles aussi sont en contact, se frôlent et se rencontrent.

Finalement, cette main qui nous accueille à l’entrée de l’exposition, n’est pas le signe d’une revendication d’un travail manuel ou artisanal mais l’expression de ce que cet organe permet (tenir, serrer, toucher, entre autres) et des sensations que ces actions produisent. En effet, les pièces exposés par Luke James à Art3 sont produites par, ou évoquent le contact. Il s’agit pour l’artiste d’en explorer les différents registres, du recouvrement au frôlement en passant par l’étreinte et l’enlacement, autant que les gammes de leurs effets, de la douceur à la violence.